Education

Education

Avant-Propos de l’ouvrage « Plan d’éducation nationale – Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau », code ISBN n°979-10-94773-23-9. Daniel Adam, avril 2015.

   L’école sous la Révolution s’inscrit dans l’histoire politique et religieuse des années 1760 – 1880, qui sont celles d’un État s’émancipant progressivement de l’Église.

   L’enseignement s’inscrit dans cette continuité qui va de l’exclusion des enseignants jésuites en 1762 à la promulgation de la loi sur l’enseignement primaire obligatoire de Jules Ferry, le 28 mars 1882, qui préfigure l’avènement de l’école contemporaine.

  Cette présentation de la question éducative énonce une succession hiérarchisée, avec une idée de progression, de progrès. Dans ce sens, Talleyrand, Condorcet, Lepeletier, Bouquier, Guizot, Fallioux et Ferry appartiendraient au même espace de pensée.
 
  Comme tous les textes fondateurs sont l’expression d’une intention et d’une stratégie politique de leurs auteurs, il faut opter pour une analyse plus épistémologique (théorie de la connaissance), au sens archéologie du savoir. Il s’agit d’aller chercher au fond de la pensée, dans ses racines, dans ce qui la conditionne, l’autorise, la détermine tout à la fois ; sa structure générative en quelque sorte.
 
   Les problématiques de Talleyrand à Ferry sont différentes et le socle même sur lequel s’élèvent leurs théories peut être distingué. Ainsi, Lepeletier est dans la filiation de Condorcet; et Ferry n’en est pas le continuateur !
 
   Le choix de l’éditeur n’est donc pas innocent, puisqu’il n’est question que d’instruction et d’éducation publiques. En 1789, seul le second terme était employé et figurait dans tous les cahiers des États généraux. Sous l’Ancien Régime (Régime politique de la monarchie absolu), l’éducation était comprise par son ancien mot : nourrir. Son mode opératoire étant un vase à remplir de connaissances et de considérations morales [1] . 
 
   La même année fût votée la “Déclaration des droits de l’homme et du citoyen”, disposant que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits… ». Par cet acte majeur, l’individu n’est plus sujet d’un roi, mais théoriquement un citoyen à égalité de droits. Il est à la base de la République de 1792, après la suppression des titres de noblesse par la Constituante, le 17 juin 1790. C’est à l’invite de Louis - Michel Lepeletier, marquis de Saint Fargeau, que les nobles reprirent leur vrai nom de famille, abandonnant leur titre.
 
   Cette idée d’un droit appartenant à l’homme en tant qu’Homme, avant toute organisation sociale, d’un droit “naturel”, était inscrite dans une longue tradition de pensées et de doctrines, bien différenciée à l’époque des Lumières. Par” Homme”, il faut bien entendu comprendre
la femme, l’enfant ou… l’homme.
 
   L’affirmation de l’être l’humain comme une fin en soi et comme un sujet digne de raison, de perfectibilité, de liberté, comme de conscience morale, est au fondement de la pensée pédagogique de Condorcet[2] et de Lepeletier[3]. Tous deux partageaient la même indignation de l’ignorance et le même constat que la religion éduquait en déformant.
 
   En décembre 1792, Condorcet présenta un plan d’organisation de l’instruction publique[4], qui préconisait cinq degrés, dans une instruction “permanente” du citoyen :
— école primaire
— école secondaire (école primaire supérieure)
— institut (collège)
— lycée (faculté)
— société nationale des sciences et des arts, chargée de la direction de la direction générale de l’enseignement.

   Suivant la recommandation des Encyclopédistes, les programmes étaient laïcisés. L’instruction du premier degré se devait d’être rigoureusement universelle, puisque « les principes de la morale
enseignée sont fondés sur la Raison et les sentiments naturels sont communs à tous les hommes ».
 
   C’est à l’occasion de la présentation du rapport de Condorcet que Lepeletier rédigea son mémoire sur « l’Éducation commune de l’enfance »[5]. Robespierre en fît lecture à la tribune de la Convention, le 13 juillet 1793, à la place de « son grand ami » (assassiné le 20 janvier 1793). Et ce 13 juillet, hasard de l’histoire, fut la mort tragique de leur autre ami commun : Marat (auteur de « Les chaînes de l’esclavage »). Et si Marat était «l’ami du peuple», Lepeletier en était le défenseur inconditionnel.
 
   Pour sa compréhension, le plan de Lepeletier est inséparable de celui de Condorcet, auquel il devait servir de complément, plus particulièrement en ce qui concerne l’éducation. Pour lui, cette dernière faisait défaut : l’instruction s’enseigne alors que l’éducation s’apprend par un autre mode d’action du maître. Il proposa donc, pour le premier degré, « une maison de l’éducation où tous les enfants (garçons et filles) seraient élevés en commun». Son originalité était d’emprunter à l’utopie, qui concevait un système social dont l’équilibre dépendait d’une planification des activités et des mœurs. Avec la gratuité totale de l’enseignement, il désirait compenser l’inégalité de fait induite de la répartition des richesses. La pauvreté était une contrainte structurelle de son plan, car elle avait pour conséquence le travail des enfants. Ce qui nécessitait l’intrusion de la puissance publique dans l’administration scolaire  — contrairement à Condorcet.
 
   Pour le défenseur du peuple, l’inégalité des talents était le produit des structures sociales. Il fallait donner à chacun et à tous la libre disposition de soi-même.
 
   Ce qui caractérise la pensée de Lepeletier peut se résumer à l’unicité des savoirs, alors que celle de Condorcet les fragmente au sein de différentes disciplines ! Cette division préfigure
 
   Le mot de la fin appartient à Condorcet : « Il viendra, sans doute, un temps où les sociétés savantes (cinquième degré NdE), instituées par l’autorité, seront superflues, et dès lors dangereuses...». Que sont devenues l’ENA, Polytechnique et Science Po?
 
   Sur l’instruction, comme garantie de l’éducation vraie, je renvoie vers l’ami Jacques Muglioni, “Apprendre et enseigner
 

[1]                       Pour Rousseau, in L’Emile ou l’éducation (note 1, livre premier), « La première éducation est celle qui importe le plus, et cette première éducation appartient incontestablement aux femmes : si l’Auteur de la nature eût voulu qu’elle appartînt aux hommes, il leur eût donné du lait pour nourrir les enfants. »
[2] http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=2424
[3] http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3046
[4] https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/condorcet-20-et-21-avril-1792
[5] http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3046

Quelle école voulons-nous? 

Jean-Michel Muglioni nous répond : Ici

    Notre système éducatif repose sur les "besoins" du marché économique, qui exigent la sélection plutôt que l'accession du plus grand nombre à l'excellence. Rares sont les enseignants qui ont pris conscience qu'ils ne sont que les serviteurs d'un ordre social déterminé. Ces mots sont un constat. Pour l'éluder certaines et certains invoquent le sens moral de la réussite scolaire.

     Or, le sens moral de la réussite scolaire est un sujet complexe qui soulève de nombreuses questions éthiques et sociales.

- D'une part, la réussite scolaire peut être perçue comme le résultat des efforts et du mérite individuel de l'élève, ce qui est une source de fierté pour les parents et les enfants eux-mêmes. Cela peut encourager les élèves à se surpasser et à atteindre leurs objectifs personnels, en leur donnant le sentiment de contrôle sur leur avenir[1].

- D'autre part, la revendication de la réussite scolaire par certains parents peut aussi refléter une certaine pression sociale et des attentes élevées, qui peuvent parfois être déconnectées des besoins et des aspirations réelles de l'enfant. Cela peut conduire à une valorisation excessive des résultats scolaires au détriment du bien-être de l'enfant et de son épanouissement personnel[2].

     Il est également important de reconnaître que la réussite scolaire n'est pas uniquement le fruit du mérite individuel. De nombreux facteurs tels que l'origine sociale, le genre, le lieu d'habitation, ou la présence de troubles cognitifs peuvent influencer les performances scolaires. Ignorer ces facteurs et attribuer la réussite uniquement au mérite ou à un QI "atypique" peut perpétuer les inégalités et minimiser les obstacles structurels auxquels certains élèves sont confrontés[1].

     En somme, le sens moral de la réussite scolaire est intrinsèquement lié à la manière dont nous valorisons l'éducation et les accomplissements individuels dans notre société.

     Il est essentiel de trouver un équilibre entre la reconnaissance du mérite et des efforts, et la prise en compte des diverses réalités sociales et individuelles qui façonnent l'expérience éducative de chaque enfant. Cela implique de promouvoir une vision plus inclusive et équitable de la réussite scolaire, qui célèbre la diversité des talents et des parcours, tout en soutenant tous les élèves dans leur quête de savoir et de développement personnel.

Daniel Adam-Salamon

mars 2024


[1]: https://theconversation.com/croire-au-merite-aide-t-il-ou-non-les-eleves-a-reussir-167590             
[2]: https://www.reseau-canope.fr/nouveaux-programmes/magazine/vie-scolaire/le-bien-etre-des-enfants-a-lecole-fondements-et-enjeux.html             
[3]: https://www.innovation-en-education.fr/12-cles-de-reussite-scolaire/          
[4]: https://www.desirsdecole.fr/une-%C3%A9cole-d%C3%A9sirable/dispositifs-p%C3%A9dagogiques/les-5-p%C3%B4les-de-la-r%C3%A9ussite/             
[5]:https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2007-5-page-74.htm